Enfants dits sorciers en Afrique : le mythe qui brise le destin des enfants

Au Togo, comme dans les sociétés africaines, beaucoup d’enfants dans l’atteinte de leurs droits subissent toutes sortes de sévices. Mais l’accusation la plus cruelle dont sont victimes ces enfants, est celle de la sorcellerie. Le phénomène est beaucoup accentué dans les zones rurales où les croyances sont prononcées. Des accusations qui, loin d’être vérifiables, exposent l’enfant à la haine sociale, étouffe son devenir et compromet son épanouissement.

« A la mort de mes deux parents, j’ai été mutilé puis mis en quarantaine pendant sept jours sans nourriture ni eau, attaché à un arbre loin de mon village. La raison ? J’ai été accusé par les membres de ma famille d’avoir tué mes géniteurs par la sorcellerie », témoigne Kodjo un jeune enfant de 13 ans vivant au nord du Togo.

Ce sort subi par Kodjo est presque le quotidien vécu par environ 80 % des 30 000 à 50 000 mineurs qui mendient, travaillent et dorment dans les rues de Lomé (Togo), selon des enquêtes de l’OMS.

Sont-ils vraiment des sorciers ?

La sorcellerie est considérée dans les sociétés africaines comme le fait de posséder des pouvoirs surnaturels susceptibles de détruire, de porter malheur, de rendre malade ou encore de tuer ses proches en les « mangeant » spirituellement. Il y a une dizaine d’années, on attribuait surtout la sorcellerie aux personnes âgées, mais aujourd’hui la cible, c’est plus les enfants en situation de vulnérabilité dans certains pays d’Afrique.

Selon le rapport de l’UNICEF intitulé « Étude anthropologique des pratiques contemporaines relatives aux enfants en Afrique », la plupart du temps, les enfants accusés d’un acte sorcier sont des enfants vulnérables. Ce sont généralement des orphelins de père et de mère ou de l’un des deux parents, les enfants ayant un handicap physique (Toute déformation corporelle : grosse tête, ventre ballonné, yeux rouges, etc.), ayant une maladie physique (épilepsie, tuberculose, etc.) et psychique (L’autisme ou la trisomie, etc., bégayeurs) ou étant surdoués. Les enfants ayant un comportement insolite, c’est-à-dire têtu, agressif, pensif, solitaire ou paresseux font également partie de cette catégorie.

Choc traditionnel et religieux

Face aux accusations, les enfants se heurtent à deux situations : soit, ils sont bannis de la société, ou ils sont soumis à un rituel d’exorcisme pour être délivrés de l’esprit de la sorcellerie. Dans les contrées reculées, l’enfant est confié à un marabout, un exorciste ou un prête traditionnel. Aujourd’hui avec la démocratisation du christianisme, beaucoup d’églises d’éveil sont spécialistes en la matière. Toujours est-il que le dénouement reste unique : les enfants dits « sorciers » sont soumis aux pires formes de châtiments pour être « délivrés » de l’esprit de sorcellerie.

Les Églises sont d’ailleurs devenues un repère local fondamental. Répondant à un besoin réel de soutien, les pasteurs affirment fournir un remède efficace à ces foyers « en crise ».
Une fois désignés comme sorciers par le « visionnaire », les enfants en âge de s’exprimer doivent confesser leur nature dite démoniaque, ce qui constitue une étape vers la « délivrance », une forme d’exorcisme dont les Églises d’éveil se sont fait une spécialité.

Certains médecins traditionnels prétendent aussi être capables de combattre les forces occultes du monde invisible. Pour obtenir la confirmation du mal, ils font ingérer de force aux enfants des potions à base de plantes toxiques qui peuvent être administrées dans les yeux, les oreilles, ou la bouche. Ces procédés « thérapeutiques » génèrent des vomissements ou des défécations qui sont interprétées comme l’efficacité du traitement.

enfant sorLe prix de la délivrance

Tortures physiques, psychologiques, privations des besoins les plus vitaux… Tous les moyens sont bons pour pratiquer une délivrance sur ces enfants dit sorciers.
Eli en a fait l’amère expérience.

Le jeune orphelin de 9 ans était confié à sa tante paternelle qui l’accusait de manger spirituellement ses enfants faisant d’elle une femme stérile.

« Un jour, elle m’a emmené de force dans une église, là où la révélation lui fut faite que j’étais la source de ses malheurs. Une fois arrivé, j’ai été attaché au milieu de la salle du culte et les fidèles, sur ordre du pasteur, me piétinaient à tour de rôle, prétextant terrasser le démon qui est en moi. Après cet épisode, je fus battu à coups de lanière par le pasteur qui disait torturer l’esprit pour qu’il quitte mon corps. La douleur était trop forte», raconte le jeune togolais.

Avant d’ajouter : « Je finis par m’évanouir ; je me réveillai au milieu de fidèles qui m’encerclaient m’obligeant à avaler le contenu d’une bouteille contenant de l’huile dite « ointe » pour « cracher » les morceaux humains que j’aurai soi-disant mangés. C’était pénible, j’ai vomi tout ce que contenait mon estomac ce jour-là. Je fus surpris par les cris de joie qui ont suivi les propos du pasteur : J’étais enfin guéri selon lui ».

Rosaline, elle aussi suivra plus ou moins le même sort, mais sous une autre forme d’exorcisme. Elle fut confiée à un charlatan lorsqu’à l’abandon de sa mère, son père se remaria. La jeune fille sera accusée de sorcellerie, après qu’une maladie terrible secoua sa belle-mère. Aujourd’hui prostituée à 17 ans, après avoir fui son foyer, elle a élit domicile dans la rue suite à cet épisode : elle s’en souvient encore…

« Nous étions trois enfants dits sorciers recueillis par le charlatan. Dès notre arrivée à son couvent, nous avons été privés de nourriture pour avouer notre forfait, étape indispensable pour obtenir la délivrance selon le charlatan : au bout de 2 jours, sous le coup de la torture, deux d’entre nous finissent par céder. Le troisième qui soutenait à corps et à cri son innocence finie par mourir : un sorcier de moins, se réjouissait les villageois », relate Rosaline.

Elle poursuit : « De notre côté, notre mésaventure s’est poursuivie. Après avoir avoué, commence la délivrance proprement dite : nous étions attachés à un arbre exposé au soleil puis battus à sang pour que le soleil sèche nos blessures. Il fallait que nous fassions face au soleil pour être délivrés, puisque selon les villageois, nous commettons nos forfaits que la nuit. Le jour suivant nous étions forcés de boire de l’huile de palme avant d’être détachés pour se baigner dans de l’eau salée très salée dite purificatrice qui picotait nos blessures. Devant la douleur insoutenable, j’ai réussi à m’enfuir, je ne sais toujours pas ce qu’est devenu l’autre enfant ».

Tout comme Odabalo, un autre enfant de rue, qui lui, a vu ses supplices se succéder parce qu’on l’accusait de voler l’intelligence de ses demi-frères, qui contrairement à lui n’étaient pas « très » intelligents. « Un pasteur m’a brûlé le corps avec des bougies. Dans une autre église, on m’a versé dans les yeux de la sève tirée d’un arbre. Cela piquait très fort, j’avais si mal aux yeux. Une autre maman prophétesse m’a entaillé le doigt pour recueillir mon sang afin d’y pratiquer des rituels visant à me guérir… »

Le jeune garçon de 12 ans sera stigmatisé comme étant un sorcier « têtu » et rejeté par sa famille alors qu’il occupait toujours la première place avec de fortes moyennes dans son cursus scolaire. Aujourd’hui, l’enfant, malgré son jeune âge est un portefaix alors qu’il aurait pu être en classe de 5ème cette année.

Comme au Togo, le phénomène est répandu dans plusieurs pays africains. Et les cas de torture varient d’un pays à un autre. En République Centrafricaine par exemple, des responsables religieux se livrent à des opérations chirurgicales pour «nettoyer» les « enfants dits sorciers ». Le pasteur découpe, avec un couteau non stérilisé, le ventre de l’enfant et ampute un petit morceau d’intestin de l’enfant, symbolisant la sorcellerie », rapporte UNICEF dans son rapport précité.

Au Bénin, un enfant né prématurément est dit sorcier…

Djena.info

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