Enfants en situation de rue : entre survie et réinsertion sociale

Une étude réalisée en 2015 par le ministère de l’action sociale et l’Unicef a recensé 5.594 enfants en situation de rue au Togo, dont 2.877 enfants à Lomé. Ce phénomène, beaucoup plus accentués dans la capitale togolaise, se développe au fil des années et n’épargne pas les autres villes du pays. Livrés à leur sort et se couchant la nuit à la belle étoile, ces enfants arpentent quotidiennement les artères des villes à la recherche de nourriture.

À Lomé, les abords du boulevard de la République dans les environs du grand marché, la plage sont les endroits où se rencontrent généralement dans la journée la majorité de ces enfants dont une bonne partie de la population se préoccupe peu du sort.

Pour occuper leur temps dans la journée, certains parmi ces milliers d’enfants qui ont élu domicile dans les rues se rassemblent par petits groupes, qui pour jouer au dé, qui pour jouer à la carte ou encore pour faire de petites causeries, à travers lesquelles chacun raconte son aventure ou sa mésaventure de la journée.

À plusieurs carrefours du boulevard du 13 janvier communément appelé boulevard circulaire, il est fréquent d’apercevoir ces enfants, souvent mal habillés proposer leurs petits services aux passants : le nettoyage des vitres des véhicules qui s’arrêtent aux feux tricolores ou des ventes à la sauvette.

Les nuits, les enfants de rues affluent vers les bars et discothèques qui jonchent le boulevard circulaire. À cet autre point de leur ralliement, ces enfants ont souvent l’occasion de surveiller les engins des clients des bars moyennant quelques pièces de monnaie. C’est aussi l’occasion pour eux de continuer leurs divers jeux, ou encore d’esquisser quelques pas de danse sur la musique émanant des débits de boissons.

Après tous ces tracas, le refuge de « ces domiciliés de la rue » n’est autre que les trottoirs où ils s’endorment en groupe et à la belle étoile jusqu’au lever de soleil.

La rue, demeure privilégiée des enfants en difficulté

Des enfants sans demeure fixe dormant le long du boulevard du 30 juin à Kinshasa. Radio Okapi/Ph. John Bompengo

Aucun enfant ne choisit délibérément d’élire domicile dans la rue. Ce choix est lié à des péripéties de la vie. « J’étais en classe de Seconde quand j’ai abandonné l’école, il y a trois ans, à cause du mauvais comportement de ma belle-mère à notre égard. En l’absence de papa, elle traite ma mère d’alcoolique, et souvent, elle nous tape, ma grande sœur, mon petit frère et moi », relate un jeune de 17 ans qui habitait à Djagblé, un quartier de la banlieue nord-ouest de la ville de Lomé.

« Malgré qu’il y ait du charbon de bois à la maison, poursuit-il, à chaque fois elle veut qu’on aille chercher les fagots de bois pour faire le feu. Un jour, elle a acheté un sac de haricot que je devais transporter. Malheureusement, le sachet contenant le haricot s’est déchiré et tout était à terre. Elle m’a surpris et à mon retour, elle m’a frappé jusqu’au sang, et depuis ce jour, j’ai quitté la maison ».

Depuis 2007, le Mouvement d’Action pour la Réinsertion des Enfants Marginalisés (MAREM) œuvre en faveur des enfants en situation de rue pour leur réinsertion. À l’espace MAREM Woezon situé dans la zone commerciale de la capitale togolaise, nous avons rencontré une soixantaine d’enfants qui suivent le programme EMERA.

Le Directeur de ce Programme, Augustin Kpodo a son idée sur les raisons qui amènent les enfants dans la rue. « On observe généralement qu’à la maison il y a des scènes de violence, de maltraitance et de négligence. On note aussi dans nos milieux, les pratiques éducatives qui sont néfastes pour le développement des enfants. Il y a le niveau socioéconomique des parents qui défavorise l’enfant, la démission des parents et le fait que des familles deviennent mono parentale ou famille recomposée avec l’enfant qui se retrouve chez sa tante, donc il n’a plus la même affection biologique », explique Augustin Kpodo.

Parfois, l’oisiveté trouve sa place dans la vie de quelques-uns. « Je viens d’Adéta (Kpélé Adéta dans la préfecture de Danyi, plus de 150 km de Lomé, ndlr). Il y a quatre ans, j’étais en classe de 5e. Je suis arrivé à Lomé avec un ami pour découvrir la ville et j’ai rencontré des amis de mon village. Je reviens pour la deuxième fois et cette fois-ci seul car j’étais avec un ami pour la première fois avant que nos parents ne nous retrouvent et ne nous ramènent au village », raconte un autre jeune âgé de 15 ans.

La rue est une jungle où il faut batailler dur pour survivre et Albert (nous lui avons changé le nom pour le protéger) gagne son pain quotidien à travers la vente des cartons et des canettes ramassées au grand marché de Lomé.

D’autres, encore gagnent leur vie à travers des jeux ludiques qui se terminent parfois par des bagarres avec des coups et blessures. Le langage de la rue est la violence et pour que l’enfant survive, il est obligé d’adopter un certain nombre de comportements pour se défendre.

les éducateurs de Marem et certains enfants à la plage de Lomé
les éducateurs de Marem et certains enfants à la plage de Lomé

La famille ne joue plus son rôle

À l’ONG MAREM, la maraude permet d’identifier les enfants en situation de rue. Les enfants sont ensuite orientés vers un espace pour une prise en charge par des éducateurs spécialisés, assistants sociaux et par des psychologues. À la suite des discussions avec les psychologues, il se révèle que les parents qui constituent le premier modèle d’identification pour les enfants ne jouent pas leur rôle.

Ce processus d’identification fait défaut dans certaines familles et les enfants ne s’identifient pas aux parents pour les imiter. « Imaginez une famille où le papa est alcoolique, où il y a des violences conjugales, l’enfant se retrouve dès lors dans un milieu où la violence, la négligence, le manque d’affection sont monnaie courante, il ne retrouve pas sa place et préfère la rue », nous confie un psychologue.

L’enfant de rue n’est que porteur d’un malaise familial, car il se retrouve dans la rue parfois traumatisé par les scènes de violence, la négligence, la maltraitance. À première vue, l’enfant de rue donne l’impression qu’il est en bonne santé, qu’il est à l’aise, qu’il vit sans-souci, mais derrière cette apparence il y a une fragilité psychique.

Séance éducative au Marem
Séance éducative au centre de l’ONG Marem

De la rue à la réinsertion professionnelle

Au-delà de la lutte menée par les autorités politiques pour réduire le phénomène d’enfants de rue à travers la scolarisation gratuite, notamment au cours primaire, certaines organisations de la société civile sont actives sur le terrain. Le cas de l’ONG MAREM à travers son programme EMERA tente de redonner de l’espoir à ces enfants.

« Le programme EMERA se déroule en trois phases. Premièrement, il faut un travail de terrain pour identifier les enfants à travers les maraudes périodiques et créer une relation de confiance pour recueillir les informations. Ensuite, nous faisons l’enquête sociale en allant à la recherche de la famille de l’enfant afin de croiser les informations. Enfin, nous faisons l’évaluation des besoins de la famille pour résoudre le problème à la base et procéder à la médiation », expose Augustin Kpodo, Directeur du programme.

Toujours dans le cadre dudit programme, des activités socio-éducatives sont menées en faveur de ces enfants telles que la prise en charge holistique, la prise en charge médicale, la prise en charge psychologique, un suivi éducatif avec des causeries-débats, des entretiens collectifs. Des activités sportives sont organisées à la plage pour permettre aux enfants d’être ensemble, mais aussi pour identifier d’autres enfants de rue qui peuvent bénéficier de l’accompagnement psycho-social.

Au bout du processus, l’enfant manifeste son désir de rompre avec la rue pour être réinséré dans sa famille. D’autres cas fréquents sont ces parents démissionnaires qui manifestent le refus de médiation et rendent difficile le travail pour les organisations. La seule alternative est l’accueil au centre MAREM EMERA pour les enfants dont la réinsertion parait compliquer pour continuer la scolarisation.

Ils sont plusieurs centaines d’enfants de rue à passer depuis 2007 par l’ONG MAREM pour un changement dans leur vie. Une soixantaine d’enfants continuent de bénéficier d’un suivi actif dans leur famille. L’accompagnement psycho-social est limité dans le temps. Le suivi post insertion dure au plus deux années.

Les parents ont un rôle important à jouer dans la vie de leur progéniture afin qu’ils puissent assumer la relève. Ils doivent toujours garder de l’affection pour leurs enfants, les scolariser et leur donner l’envie de rêve. Un comportement responsable des parents réduirait sensiblement le nombre d’enfants dans la rue.

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